L' ECOLE


Accotée au mur du cimetière, la maison d'école, comprenait au premier étage la salle de classe et en dessous, avec deux immenses portes rondes, les halles servant de préau. Elle avait des fenêtres, en façade, donnant sur la place publique  et, par derrière, deux autres avec vue sur les tombes.

Le matin, les élèves rangés sur l'escalier de pierre extérieur montaient, dans un grand silence, leurs mains, tendues,dessus et dessous,  à l'instituteur qui, l'oeil soupçonneux, gravissait lentement les marches. Un simple signe et le propriétaire des mains sales filait, à la recherche d'une mare facile à trouver par temps de pluie, mais en été....

Dans un coin une armoire contenait des fournitures scolaires distribuées tous les lundis matin.

Au mur, des pancartes du genre: "Fais ce que dois, advienne que pourra" ou "Un bienfait n'est jamais perdu". La morale s'enseignait, en effet, à cette époque, dans les écoles primaires.

L'instituteur avait toujours en main, même en écrivant au tableau, une longue baguette qui s'abattait -clac- sur la tête du plus dissipé. Brisée (cela arrivait) par des coups trop vigoureux sur un crâne trop dur, le responsable de la casse, sans rancune, se faisait un plaisir d'en rapporter une autre, prenant soin toutefois d'en enlever, avec son "queuté" (couteau) les aspérités et de la bien lisser.

Le pauvre instituteur, tout seul, souvent débordé, faisait appel à un grand pour apprendre à lire aux petits, lesquels finissaient par savoir la table de multiplication en l'entendant réciter en choeur par toute la classe

Tous, comme les adultes portaient des sabots. En été certains, ayant un long chemin à parcourir et préférant marcher pieds nus, les chaussaient seulement à l'entrée du bourg.

Les parents, sauf ceux du bourg, ayant besoin de leurs gosses les pour garder les vaches ou pour aider dans leurs travaux

agricoles ne les envoyaient en classe que dans le plein de l'hiver.

Aussi, quand un enfant quittait définitivement l'école, il ne pouvait généralement prétendre au certificat d'études. Ceux qui l'obtenaient étaient considérés comme savants. Pour la plupart, terminer en sachant faire les quatre opérations et écrire, même avec beaucoup de fautes, paraissait un résultat remarquable. 

Les jeux pendant les récréations sur la place du bourg, y compris sur la route, étaient variés. En voici quelques uns :

- le "tirlipipet" : sur la partie d'une baguette (le tirlipipet) inclinée dépassant d'un trou, on frappe avec un bâton de manière à la faire sauter. Alors d'un bon coup on l'envoie tournoyer le plus loin possible. 

- le "poulain" : à un premier garçon debout adossé à un mur, vient s'ancrer ,par la tête  un autre garçon qui courbe le dos. deux ou trois autres en font autant. Le jeu consiste, pour les suivants, après avoir pris leur élan, à enfourcher cette file de dos perpendiculaire au mur, en s'agrippant jusqu'à ce que l'édifice se rompe.

- le "piboutin". C'est le jeu de la toupie, mais une grosse toupie en bois tourné.

- la "balotte" :  une pelote de chiffons cousus serrés par les mains maternelles,  c'est-à-dire à la balle au chasseur, balle pleine de boue en hiver qui laissait une étoile sur la blouse du poursuivi.

Nous jouions aussi au palet qu'il s'agissait de lancer le plus près possible d'un but, aux "canettes" (billes) qui consistait à envoyer d'un coup de pouce, sa bille en cogner une autre plus grosse, ou bien à viser un trou, toutes celles restées en dehors étant considérée comme perdues. Souvent le vaincu s'en allait,tout penaud,n'ayant plus une seule bille en poche.

Il y avait à Grâce deux écoles de filles, l'une religieuse très fréquentée l'autre, laïque, ne comptant que très peu d'élèves.

Le jeu préféré des filles était 1a marelle. Après la classe, nous (les garçons) les regardions pousser à cloche-pied, un palet à travers des cases dessinées sur le sol.

Les filles, même après leur sortie de l'école, jusqu'à quatorze ou quinze ans n'avaient pas droit au capot, mais à un simple bonnet.

Deux fois par semaine, au sortir de l'école, le catéchisme était assuré par le recteur ou le vicaire avec, pour les garçons, des répétitions chez les religieuses qui nous recevaient dans leur cellier. Nous devions leur réciter sans faute les leçons de notre manuel. Debout devant les barriques, les bras croisés, nous débitions, souvent sans comprendre, les réponses aux questions posées par une supérieure à la cornette blanche, comme ce fameux "consubstantiellement", adverbe relatif à la nature divine -20 lettres et 7 syllabes si difficiles à prononcer.

Pour Noël, les petits garçons et les petites filles sages, trouvaient dans leurs sabots bien cirés, alignés dans l'âtre, une ou, par chance, deux oranges, avec un chocolat pour croquer.

Pas de jouets. Et, dans certaines familles, seulement quelques morceaux de sucre soigneusement "doublés" (enveloppés) ou joie une pièce de deux sous habillée de papier argenté.

Pas de messe de minuit qui jadis attirait, vers la crèche illuminée, des groupes de campagnards emmitouflés, précédés d'un porteur de lanterne. Elle avait été supprimée, en raison des beuveries dans les auberges qui l'avaient accompagnée.

Pour le nouvel an, jour comme les autres, pas d'étrennes, bien entendu.